Les idées reçues sur la voiture électrique
Malgré sa forte émergence sur le marché de l’automobile, la voiture électrique reste encore souvent pour le grand public un objet de méfiance car elle soulève de nombreuses questions avec des avis contradictoires. Carbone 4 vise à éclairer le débat pour démêler le vrai du faux en répondant à ces questions avec une approche scientifique et chiffrée.
Cette FAQ se découpe en 4 thématiques.
L'impact carbone
1. Les émissions liées à la fabrication de la batterie sont-elles prises en compte dans les comparaisons carbone ?
L'empreinte carbone d’un produit est calculée en comptabilisant les émissions de gaz à effet de serre significatives sur l'ensemble de la durée de vie du produit, de l'extraction des matières premières à sa fin de vie. Ainsi, pour calculer l’empreinte carbone d’une voiture, nous considérons non seulement les émissions de gaz à effet de serre (GES) émises lors de l’utilisation du véhicule, mais également les émissions de GES émises en amont (fabrication de la batterie, production d’électricité pour alimenter la voiture, etc.) et en aval (traitement du véhicule en fin de vie, recyclage de la batterie, etc.)
2. Kilomètre pivot : au bout de combien de kilomètres la voiture électrique est-elle mieux que la voiture thermique en France ? Ou plutôt, pourquoi cette question est-elle mal posée ?
Produire une voiture électrique émet plus de gaz à effet de serre (CO2e) que son équivalent thermique, c'est avéré, essentiellement du fait de la fabrication des batteries. Ce serait un problème pour le climat si ce CO2e excédentaire n'était pas plus que largement compensé par les réductions d'émissions à l'usage. Or, c'est bel et bien le cas puisque sur sa durée de vie en France, une voiture électrique émet globalement 3 à 4 fois moins de CO2e que son équivalent thermique. En fait, la question est mal posée et sert surtout par sa sémantique à décrédibiliser le véhicule électrique. Nos évaluations montrent qu'il faut rouler autour de 30 à 40 000 km (soit 2 à 3 ans d'utilisation pour un usage moyen) pour que la voiture électrique devienne meilleure pour le climat que son équivalent thermique "hybride léger". Or, une automobile sur sa durée de vie va parcourir de l’ordre de 200 000 km (la longévité des batteries n’est absolument pas un obstacle pour cela, au contraire)… de sorte que tout véhicule électrique mis en circulation aujourd’hui à la place d’un hybride léger permet de fait de réduire les émissions de manière incontestable sur sa durée de vie. Le seul point d'attention pourrait concerner ceux des "seconds" véhicules des ménages qui roulent très peu, typiquement moins de 3 000 km par an. Mais en pratique, le faible coût kilométrique des voitures électriques est une incitation forte à les utiliser, si bien que ces seconds véhicules peuvent devenir les premiers en termes d’usage.
3. Et ailleurs ? La voiture électrique est-elle mieux que la voiture thermique partout dans le monde ?
Les bénéfices climatiques des véhicules électriques par rapport aux véhicules thermiques proviennent de leur bien plus faible consommation d'énergie sur leur durée de vie (et ce malgré la fabrication plus émissive des véhicules électriques). Moins la production d'électricité est carbonée, plus l'écart se creuse. Même lorsqu'elles sont rechargées à partir d'un mix électrique dominé par le charbon, comme en Australie, en Chine ou en Pologne, les émissions des voitures électriques sont dès aujourd'hui inférieures à celles des voitures thermiques sur leur cycle de vie. Ainsi, les voitures électriques sont déjà meilleures pour le climat que les voitures thermiques dans la plupart des pays du monde, et cela est d'autant plus vrai que la quasi-totalité des pays ont pour objectif de décarboner leurs mix électriques au fil du temps, donc d'ici à la fin de vie du véhicule. Dans une vingtaine de pays seulement, la voiture électrique est moins vertueuse que la voiture thermique (en supposant que le mix électrique ne change pas). Il s'agit de l'Inde, de certains pays d'Afrique et du Moyen Orient, et de pays insulaires tels que Cuba, Haïti ou l'Indonésie.
4. Revenons en France : est-ce qu’une voiture électrique est mieux pour le climat, peu importe sa masse ?
Non, pas nécessairement, car qui dit véhicule électrique lourd dit plus de matière et une plus grosse batterie pour répondre à son besoin énergétique. Et donc plus d’émissions liées à la fabrication du véhicule (qui représente le principal de son empreinte carbone, contrairement au véhicule thermique) et à l’usage bien entendu du fait de cet incrément de masse. A ce titre, répliquer le modèle du SUV thermique dans le champ de l’électrique est l’exemple parfait de la « fausse bonne idée » : une Audi e-tron a une empreinte carbone 2 fois supérieure à une Volkwagen e-Up sur sa durée de vie (150 000 km). Il faut penser les voitures moins énergivores quel que soit leur type d’énergie, et pour cela les alléger. Or la tendance actuelle est à des véhicules de plus en plus gros et lourds, qui consomment plus : en 30 ans, la masse de nos voitures a augmenté de… 30% en moyenne pondérée en France.
5. Est-ce que le véhicule hybride rechargeable est un bon compromis entre le véhicule électrique et le véhicule thermique ?
Le véhicule hybride rechargeable semble constituer aujourd’hui la solution idéale pour répondre à l’enjeu climatique :
- c'est un moyen commode pour les constructeurs de satisfaire à leurs obligations réglementaires (en Europe), grâce à un protocole d’homologation des émissions qui avantage considérablement le véhicule hybride rechargeable, eu égard aux émissions réelles,
- c'est une technologie rassurante pour les automobilistes se sentant certes concerné·es par les enjeux environnementaux, mais pas encore prêt·es à franchir le pas du 100% électrique.
Pourtant, cette technologie souffre de réels défauts qui la rendent difficilement compatible avec l’ambition de décarboner presque complètement la mobilité individuelle à l’horizon de 20 ans :
- le mode électrique est peu utilisé en réalité (moins de 40% des kilomètres), du fait de l’existence du moteur thermique,
- son moteur thermique est en général moins performant que l’état de l’art des véhicules essence/diesel comparables...
- … et ce d’autant plus que la présence de deux motorisations, plus la batterie, augmente significativement la masse d’un tel véhicule, et donc sa consommation (thermique ou électrique).
Ainsi, le véhicule hybride rechargeable ne permet en général qu'un gain carbone de 15-20% (contre 60-70% pour un véhicule 100% électrique), ce qui est insuffisant par rapport aux enjeux climatiques et n'est pertinent qu'en de rares cas particuliers.
Plus globalement, le véhicule hybride rechargeable est l'exemple-type de l'irrationalité économique en matière d'automobile : le choix des automobilistes est en effet le plus souvent dicté par le cas d’usage le plus contraignant au lieu du cas d’usage le plus fréquent (ex : achat d’une grosse voiture puissante de 5 places, pour 4 trajets au complet dans l’année supérieurs à 500 km, alors que 90% du temps d’utilisation est consacré à des parcours de quelques dizaines de kilomètres avec 1 à 2 personnes au plus à bord). Le véhicule hybride rechargeable correspond tout à fait à cette irrationalité de choix, sur la base d’une idée apparemment bonne de combiner le « meilleur des deux technologies » (électrique et thermique) pour couvrir tous les cas d’usage. Dans les faits, la situation apparaît sauf rare exception comme sous-optimale économiquement (véhicule plus cher et plus complexe à entretenir) et environnementalement.
Les impacts environnementaux (hors carbone)
6. Est-ce que les batteries utilisent beaucoup de terres rares ?
Contrairement à ce que leur nom indique, les « terres rares » ne sont pas si rares sur Terre en quantité. Il s’agit de métaux en fait aussi abondants que le nickel ou le cuivre, mais beaucoup plus dispersés dans la croûte terrestre, d’où leur nom. De par leurs propriétés similaires, elles sont utilisées dans la fabrication de produits de haute technologie. Aujourd’hui, il n’y a pas de terres rares dans la majorité des batteries qui équipent les voitures électriques, et certains moteurs électriques peuvent contenir des terres rares mais des alternatives existent. Cependant, il y a quand même un enjeu de matières premières car les batteries utilisent des métaux à forte criticité, c’est-à-dire dont l’approvisionnement est un enjeu particulièrement important. On peut citer par exemple le cobalt et le lithium, mais aussi des métaux moins critiques aujourd’hui, mais qui pourraient le devenir compte tenu des trajectoires de production exponentielle attendues, comme le nickel, le graphite, ou encore le cuivre. S’il n’y a pas de risque identifié de manque physique de ressources à horizon 2030, la forte croissance de la demande pourrait induire des risques d’approvisionnement et des déséquilibres sur le marché. La tension à prévoir sur les matières premières pour la production de batteries devrait favoriser naturellement l’essor du recyclage comme approvisionnement ou de nouvelles chimies de batteries pour réduire l’utilisation de métaux à forte criticité.
7. Est-ce que les batteries sont recyclables ?
Le recyclage des matériaux de batterie est crucial pour réduire la pression sur la demande de matériaux vierges et ainsi limiter les impacts associés à leur extraction. Contrairement à une idée reçue courante, les batteries Li-ion sont recyclables, actuellement à hauteur de 50% par pyrométallurgie (en masse), et potentiellement jusqu’à 80-90% avec de nouveaux procédés hydrométallurgiques et mécaniques. Pour autant, recyclable ne veut pas dire recyclé, et actuellement moins de 5% des batteries Li-ion en fin de vie le sont. Pour être récupérées et recyclées, il faut pour cela attendre que les batteries arrivent en fin de vie. Les véhicules électriques émergeant tout juste sur le marché, la filière industrielle de recyclage n'est pas encore mature. Celle-ci devrait se développer à mesure que ces véhicules électriques sortiront du parc en circulation et que la tension sur les matières premières s'accentuera. On estime que 1,2 million de batteries de véhicules légers et lourds arriveront en fin de vie en 2030 dans le monde, 14 millions en 2040 et 50 millions en 2050[1]. Le gisement alors disponible permettra à la filière de réaliser de véritables économies d’échelles et de rendre les matériaux recyclés aussi compétitifs que les matières premières. Un recyclage efficace des batteries de véhicules en fin de vie pourrait réduire la demande annuelle mondiale d’extraction minière combinée de lithium, de cobalt, de nickel et de manganèse de 3 % en 2030 et de 28 % en 2050[2].
En ce sens, le Conseil de l’Union européenne a adopté un nouveau règlement courant 2023, introduisant un objectif de collecte des batteries du transport léger en fin de vie de 51 % d'ici à 2029 et de 61 % d'ici à 2032. Ce règlement fixe également un objectif de valorisation du lithium de ces batteries de 80 % d'ici à 2032[3], ainsi que des seuils d’incorporation de matériaux recyclés, fixés à 16 % pour le cobalt, à 6 % pour le lithium et à 6 % pour le nickel[4].
Mais le recyclage, même s’il était réalisé de manière optimale, ne suffira pas à combler la demande. Toute augmentation de la production en batteries nécessitera une activité d’extraction minière additionnelle, qui cependant devra être limitée pour assurer les justes besoins, avec les meilleurs procédés disponibles. Donc il reste important de freiner la course à l’augmentation des tailles des batteries !
8. Produire une batterie, ça pollue non ? Et ce sont des enfants qui travaillent dans les mines ?
Au côté de l'impact climatique (les émissions de gaz à effet de serre) et de la qualité de l'air (les émissions de polluants à l'usage), il est important de considérer d'autres impacts sociaux et environnementaux du véhicule électrique. Les batteries et moteurs de véhicules électriques, comme tous produits électroniques complexes, contiennent un nombre important de matériaux dont l'extraction et le raffinage ne sont pas sans impact. Le débat se focalise souvent sur le lithium et le cobalt nécessaires à la production des batteries. Ces enjeux sont réels : par exemple l'impact sur les ressources en eau des "salars" andins (d'où est extrait le lithium) ou les conditions de travail dans les mines de cobalt en République Démocratique du Congo. Toutefois, ces deux métaux représentent 4% du poids moyen d’une batterie. Le cuivre (9%), le graphite (9%), l'acier (9%) et l'aluminium (29%) sont ainsi utilisés en bien plus grandes quantités, et avec parfois des enjeux environnementaux et sociaux tout aussi importants, quoique moins médiatisés. Les risques et les controverses sont multiples (gestion des déchets, pollution de l'eau, pollution de l'air, conditions de travail, etc.) comme l'illustre le transition mineral tracker (https://trackers.business-humanrights.org/transition-minerals/). La sobriété et le recyclage apparaissent encore parmi les éléments clés de réponses à ces questions. Par ailleurs, pour ne pas donner une image caricaturale, ces problèmes spécifiques aux minerais pour les batteries (des véhicules électriques comme de beaucoup de nos appareils électroniques) doivent être mis en regard des controverses qui portent sur l'industrie pétrolière. Les marées noires et les atteintes aux droits de l'homme, en plus des conflits armés qui ont émaillé l’histoire du pétrole, sont le triste rappel que les véhicules thermiques, aussi, dépendent d'une activité extractive problématique.
9. La voiture électrique est-elle mieux pour la qualité de l'air ?
Au sein de l’Union Européenne, la pollution de l’air est responsable d’environ 400 000 morts prématurées par an d’après l’Agence Européenne de l’Environnement[5].
Le transport, du fait des émissions de particules fines, participe à la détérioration de la qualité de l’air.
Néanmoins, la mesure et la modélisation des particules fines des véhicules est encore un sujet de recherche et d’analyses.
Selon deux études en 2022 (ADEME[6] et Science of the Total Environment[7] ), il n’y a pas d’écart significatif d’émissions de particules « directes » entre un véhicule thermique récent et un véhicule électrique à forte autonomie.
Toutefois, la deuxième étude qui modélise également les particules « secondaires » montre un gain potentiel intéressant pour le véhicule électrique.
Pour bien comprendre ce résultat, il est nécessaire de clarifier les différentes sources d’émissions de ces particules fines.
Émissions de particules fines | Descriptif | Voiture thermique | Voiture électrique |
À l’échappement | Combustion du carburant qui émet des particules fines comme le monoxyde de carbone ou les oxydes d’azote (NOx) | Oui | Non ⬊ |
« Hors échappement » | Abrasion des freins, des pneumatiques et des chaussées | Oui | Oui ⬈ |
« Secondaires » | Particules qui se forment dans un second temps dans l’atmosphère suite aux émissions de NH3, NOx et SO2 issus de la combustion | Oui | Non ⬊ |
Alors que les émissions de particules à l‘échappement ont très nettement baissé avec la généralisation des filtres à particules, celles hors échappements deviennent prépondérantes. Si les véhicules électriques grâce au freinage régénératif émettent moins de particules de freins que leurs équivalents thermiques, la tendance s’inverse pour les particules issues du contact pneu-chaussée et de la remise en suspension (du fait de leur plus grande taille de pneumatique due à leur masse véhicule supérieure).
Enfin, il semblerait que les émissions de particules secondaires bien que très difficiles à modéliser, ont un impact certain et plus élevé sur le véhicule thermique. L’étude parue dans « Science of the Total Environment » souligne d’ailleurs un besoin d’analyses expérimentales supplémentaires pour estimer avec précision la quantité totale de particules fines entre le véhicule électrique et thermique.
Dans tous les cas, et comme le rappelle l’ADEME, afin de réduire la pollution par les particules liées au trafic routier, il est donc indispensable d’associer à l’électrification du parc, d’autres actions comme l’allègement des véhicules (pneus moins larges), le développement de l’éco-conduite (accélération et décélération moins forte), réduction des vitesses limites autorisées (freinage moins fort), privilégier les modes actifs,…
L'usage des véhicules électriques
10. Est-ce que ça coûte plus cher ?
La question du coût du véhicule électrique revient souvent dans le débat, ce qui est on ne peut plus logique. En effet, à gamme donnée, le véhicule électrique présente un prix d'achat supérieur au véhicule thermique aujourd'hui, même avec les aides d'État lorsqu'elles existent (comme en France). Toutefois, tout automobiliste sait très bien que le coût d'un véhicule ne se limite pas à son prix d'achat : s'y rajoutent l'énergie, l'assurance, l'entretien, le stationnement, les péages, etc. Or, sur les deux premières composantes que sont l'énergie et l'entretien, le véhicule électrique est bien moins coûteux qu'un véhicule thermique, en particulier s'il est rechargé à domicile. De sorte que pour certains usages caractérisés par des kilométrages importants, le véhicule électrique présente dès aujourd'hui un coût total de possession (TCO) meilleur que le véhicule thermique équivalent (cf. par exemple la dernière édition du cahier dédié d’Arval sur le sujet). Dire qu'un véhicule électrique est « cher, très cher », c'est donc simpliste et réducteur. Dès qu'on intègre le coût d'usage, l'écart se réduit très sensiblement. En outre, comme c'est le coût d'acquisition qui représente le plus gros obstacle pour les potentiels acquéreurs, tous les constructeurs communiquent désormais sur un loyer mensuel, ce qui permet de lisser le surcoût sur plusieurs années, comme ça serait le cas pour un crédit bancaire à l’achat d’un véhicule thermique. Pour terminer, l'une des portes d'entrée vers le véhicule électrique devrait être le marché de l'occasion qui promet de considérablement se développer dans les années à venir (x2 en 2021), en particulier parce que l'écart sur le prix d'achat par rapport à un véhicule thermique se réduit.
11. Quelle est la durée de vie moyenne d’une batterie ?
La durée de vie d'une batterie d'une voiture électrique ne se comptabilise pas en nombre de kilomètres mais en nombre de cycles de charge-décharge*. Pour une batterie lithium-ion (technologie utilisée par la plupart des voitures électriques), la durée de vie théorique avant l'obsolescence de la batterie (c'est-à-dire lorsque la batterie atteint 70-80% de sa capacité originelle, ce qui la rend encore pertinente en seconde vie pour des usages stationnaires par exemple) est estimée entre 1 000 et 1 500 cycles. Ainsi, pour un véhicule roulant en moyenne 15 000 km par an, la durée de vie théorique de la batterie du véhicule est comprise entre 15 et 20 ans. Cela signifie en pratique qu’il n’est nul besoin de changer de batterie sur la durée d’utilisation d’un véhicule. A noter que plusieurs facteurs peuvent impacter la durée de vie de la batterie : le climat (la chaleur), l'immobilisation, la fréquence de chargement, la puissance de charge (notamment dans le cas d'une charge ultra-rapide avec une puissance trop importante).
12. Est-ce que l’autonomie des voitures électriques est adaptée aux longues distances ?
Parmi les freins à l'adoption de l'électromobilité par les automobilistes figure systématiquement dans le top 3 la question de l'autonomie des véhicules électriques. Quand bien même 95% des déplacements en voiture ne dépassent jamais 300 km pour l'écrasante majorité des français.es, cette contrainte de devoir recharger pour couvrir de longues distances reste un obstacle mental fort. Dans les faits pourtant, il existe désormais environ 60 000 points de charge publics en France, afin de permettre de franchir de grandes distances. Ça reste insuffisant si on se projette avec un parc électrique de plusieurs millions de véhicules, mais les pouvoirs publics ont affiché des ambitions renforcées pour développer ce réseau. En fonction des régions et des aires urbaines, il y a cependant une grande hétérogénéité, ce qui peut causer ponctuellement des problèmes, du fait de difficultés d'accès à la recharge (par ex. les stations touristiques lors des périodes de forte fréquentation). En pratique, la longue distance se conjugue de toutes façons, et quel que soit le type de véhicule, avec des temps de pause pour réduire les risques liés à la fatigue. La mobilité électrique a ceci de différent qu'elle impose ces arrêts aux endroits équipés de points de charge, d'où l'importance de les positionner près de lieux de restauration ou de loisirs. Au bout du compte, la longue distance avec une voiture électrique est tout à fait envisageable, à condition de planifier un minimum son parcours et d'accepter de passer un peu plus de temps sur la route (environ 1 à 2h de plus pour un trajet entre 300 et 500 km). En consentant à cette contrainte, n'oublions pas qu'on réduit l'impact du trajet sur le climat d'un facteur 3 à 4. Le jeu n'en vaut-il pas la chandelle ?
13. Est-ce vrai qu’il y a moins d’entretien sur une voiture électrique ?
L'entretien des voitures électriques est plus simple par plusieurs aspects : moins de pièces composant le moteur, pas de pièces d'usure dans celui-ci (courroie, durite), pas de système d'embrayage, des plaquettes de frein moins sollicitées grâce à la récupération de l’énergie de freinage, etc. Ces avantages font plus que compenser les besoins spécifiques aux voitures électriques tel que le contrôle des circuits électriques à haute tension. Les coûts d’entretien au quotidien sont donc réduits d’environ 20% à 40% et les visites techniques espacées (tous les 30 000 km contre 15 000 et 20 000 km pour une essence ou un diesel d’après les constructeurs).
14. Est-ce que les batteries ne sont pas dangereuses car sujettes à incendie ?
Les batteries peuvent effectivement prendre feu suite à un emballement thermique, qui peut avoir plusieurs causes (dommages mécaniques, court-circuit interne, surcharge, etc.). Il en résulte un incendie délicat à maîtriser (feu de métaux), avec un dégagement de fumées toxiques. C’est pourquoi les constructeurs prévoient de nombreuses protections à la fois dans les cellules de batteries et dans le BMS (Battery Management System) qui gère la charge/décharge de la batterie, et parfois surveille la température interne. Le risque d'incendie est inhérent aux batteries et n'est donc pas à négliger. Cependant il reste très rare : Tesla indique dans son rapport d'impact que, ramené au kilomètre parcouru, il y a 11 fois moins d'incendies de Tesla que la moyenne des véhicules (thermiques) aux États-Unis sur 2012-2020.
15. Y aura-t-il assez de bornes de recharge ?
L’ « objectif 100 000 bornes » fixé par le Gouvernement pour 2021 n'a pas été atteint et se retrouve reporté à 2022, mais l'accélération du déploiement de points de recharge est toutefois une réalité. Le nombre de points de charge ouverts au public en France a augmenté de 55% en 2021[8], et toutes les aires de services du réseau autoroutier seront équipées de bornes de recharge rapide d’ici la fin de l’année[9]. Aujourd'hui, 1 point de recharge en voirie est disponible pour 15 véhicules, ratio qui tombe à 1 point de recharge pour 1,3 véhicules si l’on inclut les points de recharge privés[10] chez les particuliers, dans les copropriétés, sur les parkings d’entreprises, etc). Mais le nombre de véhicules électriques et hybrides dans le parc automobile français devrait continuer à augmenter et atteindre plus d’1 million en 2022 et, on imagine, de 5 à 6 millions vers 2030[11].
Les objectifs en termes de nombre de points de recharge public ne sont pas encore bien définis mais au global, publics et privés réunis, ce sont 7 millions de points de recharge installés que le Gouvernement ambitionne d’atteindre d’ici 2030[12]. Cet objectif permettrait de maintenir le ratio actuel d’un point de recharge pour 1 à 2 véhicules. En ce sens, des mesures législatives et réglementaires visant à lever les obstacles au déploiement des bornes de recharge et des aides financières pour leur installation ont été mises en place.
Si le déploiement se fait au rythme adéquat, l’expérience de faire la queue lors des chassés-croisés des vacances devrait être l’exception, plutôt que la règle. A noter que Tesla expérimente (au moins en France) la gratuité de la recharge les veilles de chassés-croisés, sur certaines de ses stations, pour lisser la demande et éviter un afflux trop important le jour J.
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*Un cycle de charge-décharge correspond à une charge complète théorique de 0 à 100%, et non pas le nombre de fois que la voiture peut être mise à charger. En effet, en pratique, la voiture est mise à charger avant qu'elle ne soit complètement à vide. Ainsi, le nombre de charges réel est supérieur au nombre de cycles de charge-décharge.
Autres questions
16. Est-ce que le réseau électrique va tenir ?
Cette question pose la question de la puissance appelée par la charge des voitures électriques, qui pourrait mettre en péril l’équilibre du réseau (à l’échelle globale ou plus régionale). A ce sujet, les modélisations faites par RTE [13] indiquent que l’impact pourrait être absorbé sans difficultés en faisant l’hypothèse d’un pilotage « intelligent » de la charge (utilisation des fonctionnalités des smart grids et des signaux tarifaires). Plus précisément, la puissance électrique que représenterait sans pilotage la charge de 8 millions de véhicules électrifiés serait de 8 GW lors de la pointe hivernale de 19h compte tenu du foisonnement de l’utilisation des charges (pour un jour ouvré moyen d’hiver et par rapport à une situation sans véhicules électrifiés). Rappelons que le parc électrique français a une capacité de pointe supérieure à 100 GW. Selon RTE, il est également intéressant de noter que l’évolution des autres usages électriques à l’horizon 2030 a un impact de réduction de la pointe d’un volume similaire. Avec un pilotage de la charge, la puissance nécessaire aux 8 millions de véhicules électrifiés à la pointe hivernale de 19h serait bien moindre : 3,5 GW. Dans ce cas, pour les mêmes raisons qu’invoquées ci-dessus, la pointe de 19h n’augmenterait pas mais diminuerait par rapport à 2016. Le développement à large échelle de la voiture électrique en France ne représente donc rien d’inaccessible pour le réseau électrique à l’horizon de 10 ans, même dans l’hypothèse d’une recharge non pilotée, pourvu bien sûr que les niveaux de capacités pilotables soient analogues au niveau actuel. Cette analyse laisse toutefois un angle mort sur l’adéquation géographique : à la maille locale de distribution, des congestions sont susceptibles d’apparaître et nécessiteraient des renforcements du réseau de distribution. A plus long-terme, si on se projette avec un parc avoisinant les 20-25 millions de véhicules (ou plus, ce qui n'est pas forcément souhaitable), des investissements devront bien entendu être faits sur le réseau, mais dans des proportions auxquelles les acteurs de la production, du transport et de la distribution d'électricité sauraient faire face, du moment que c'est anticipé [14]. Le rôle des pouvoirs publics sera décisif à cet égard.
17. Si on remplace toutes les voitures thermiques par des voitures électriques, doit-on construire des nouvelles centrales nucléaires ou des milliers d’éoliennes ?
La consommation d’électricité en lien avec le développement de la mobilité électrique ne pose pas de contrainte en termes de production électrique, même avec un volume très important de véhicules. Pour s’en convaincre, il suffit de mettre en regard deux données : 12 millions de voitures électriques (dont les voitures hybrides rechargeables) généreraient une demande d’électricité d'environ 30 TWh selon RTE, soit une quantité équivalente à environ 5 à 6% de la production nationale actuelle. Par quel miracle ? Simplement du fait d’un rendement énergétique 3 à 4 fois supérieur pour un moteur électrique par rapport à un moteur thermique. Par ailleurs, cette consommation d’électricité propre à l’électro-mobilité individuelle ne s’additionnerait pas à la consommation actuelle car elle serait en grande partie compensée par la baisse générale de la consommation à moyen terme pour les autres usages (effet de l’efficacité énergétique dans l’industrie ou le résidentiel-tertiaire).
18. Est-il vrai qu’on va pouvoir faire des recharges par induction ?
La recharge par induction électromagnétique, ou "sans fil", existe sous deux formes : à l’arrêt et en roulant. La première forme aurait lieu sur une place de parking, et viendrait se substituer à la borne de recharge telle que nous la connaissons actuellement. Cette solution éviterait simplement de devoir faire le tour du véhicule pour brancher son câble ou passer son badge sur la borne : la recharge démarre automatiquement. La forme dite "dynamique" permettrait de recharger sa voiture en roulant grâce à un dispositif intégré sous la route. Cette dernière solution serait particulièrement intéressante car elle permettrait d’améliorer significativement l’autonomie des voitures électriques et de réduire la taille de leurs batteries. Des premiers tests ont été menés et se sont avérés encourageants. Cependant, bien que certains constructeurs se proposent d’adapter les modèles existants, les voitures électriques actuellement sur le marché ne sont pas adaptées à ce type de rechargement (car non équipées de de bobines réceptrices), et la rapide chute du coût des batteries pourrait reporter ou enterrer la technologie.
19. Géopolitique : est-ce que le véhicule électrique va créer de nouvelles dépendances vis-à-vis de puissances étrangères ?
Quand on regarde la production des véhicules, la voiture thermique a traditionnellement été plutôt un point de souveraineté économique européenne. L'Europe est exportatrice nette et les constructeurs européens sont parmi les plus performants notamment grâce à la maîtrise de la complexité des moteurs thermiques. Pour la voiture électrique, le marché était jusqu'à très récemment dominé par les constructeurs chinois (tirés par la très forte demande intérieure chinoise), même si la situation pourrait évoluer. Ainsi en 2020 les nouvelles immatriculations de voitures électriques en Europe ont surpassé celle de la Chine pour la première fois. En rentrant dans le détail, on constate toutefois que même lorsqu'elle a lieu en Europe, la fabrication de véhicules électriques repose en partie sur l'importation de batteries depuis l'étranger. Ainsi en 2020, la production européenne de batteries a été légèrement inférieure à la demande. Cela pourrait toutefois changer très vite. En effet, les très nombreuses annonces de gigafactories européennes laissent penser que l'Europe pourrait devenir exportatrice nette de batteries dès 2023 [15]. Le problème de la souveraineté serait donc réglé ? La situation n'est pas si simple. En effet, même lorsqu'elles sont fabriquées en Europe, les batteries sont fabriquées avec des matériaux qui sont pour la plupart minés hors d'Europe - par exemple le cobalt issu de République Démocratique du Congo et le lithium issus du "triangle du lithium" : Argentine, Bolivie, Chili pour les plus emblématiques - et le plus souvent aussi raffinés hors d'Europe. A ce titre, les quelques projets européens de production locale de lithium par exemple, via des mines au Portugal ou de la récupération dans les saumures alsaciennes, restent en dessous du niveau nécessaire. Ainsi, lorsqu'on regarde la production des véhicules sous l'angle de la souveraineté économique, il apparaît clairement que la voiture électrique fait perdre l'avantage historique que possédaient l'Europe avec les moteurs thermiques. Face à ce constat, la réponse de l'Europe de promouvoir l'électrique tout en investissant pour localiser en Europe ce qui peut l'être (la production de batteries quitte à importer les matières premières d'ailleurs) apparaît comme pertinente. Dans un monde qui s'oriente de toute façon vers l'électrique, autant agir pour sortir son épingle du jeu là où c'est possible. Enfin, ce débat sur la production des véhicules ne doit pas venir occulter la partie usage. Alors que la voiture thermique crée une dépendance aux pays producteurs de pétrole, le véhicule électrique permet de s'en affranchir en s'appuyant un mix électrique composé de plusieurs sources d'énergies primaires et donc via plusieurs pays fournisseurs. Ce n'est pas pour rien que le dernier plan de l'AIE pour réduire la dépendance au pétrole russe octroie un poids important au développement du véhicule électrique !
20. Quel sera l’impact du développement des voitures électriques sur les emplois ?
La transition vers la voiture électrique va avoir un fort impact sur les emplois dans l'industrie automobile. En effet, la fabrication d'une voiture électrique nécessite environ 40% de main-d’œuvre en moins qu'une voiture thermique, la voiture électrique étant plus simple à produire avec à la fois moins de pièces et de composants, mais aussi moins de temps d'assemblage nécessaire. Les équipementiers et les fournisseurs axés sur les moteurs à combustion sont particulièrement menacés. L'essor des voitures électriques va néanmoins faire émerger de nouveaux métiers, notamment pour fabriquer et assembler les batteries, mais aussi en tant qu’installateurs de bornes de recharge, bobiniers, monteurs-câbleurs, etc. Des nouveaux services de mobilité pourraient également se développer (sur la longue distance par ex. comme indiqué dans notre épisode n°3). Pour que cette transition soit une opportunité, cela nécessite d'anticiper et d'investir dans la transformation de l'industrie automobile, notamment dans (i) la création d'une filière européenne compétitive de fabrication et fin de vie des batteries, afin de relocaliser la production en Europe et (ii) l'accompagnement des salarié.e.s pour former aux nouvelles compétences requises et aider à la reconversion.
Note : les détails méthodologiques et hypothèses sont disponibles dans notre publication.
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